June 23, 2024
Le conte qui navigue entre réalisme et poésie a inspiré à Thierry Pécou une musique très visuelle. Dans la fosse, les neuf musiciens de l’ensemble Variances accompagnent au plus près le récit. La partition se nourrit de réminiscences musicales amérindiennes, afro-américaines, balinaises et indiennes.
O Future de Thierry Pécou en création au Théâtre de Caen – Entre réalisme et poésie – Compte-rendu
Photos © Philippe Delval – Théâtre de Caen
Alors que la Normandie se tourne depuis plusieurs semaines vers son passé, en commémorant le 80e anniversaire du débarquement du 6 juin 1944, le théâtre de Caen vient de célébrer à sa manière cet événement en se projetant dans l’avenir. C’est la création de O future, un opéra composé par Thierry Pécou sur un livret d’Alice Kudlak (que l’on retrouve à la mise en scène et à la scénographie avec Bernard Kudlak, directeur et cofondateur du Cirque Plume) qui a permis de réunir une maîtrise française de garçons, la Maîtrise de Caen, et un chœur de jeunes filles américaines, The San Francisco Girls Chorus (dir. Valérie Sainte-Agathe). Le symbole est fort ; l’histoire ne l’est pas moins.
Très inquiets du devenir de la planète et de leur propre avenir, des adolescents de France et d’Amérique tentent de trouver des solutions. Réunis en « assemblée extraordinaire » grâce à la télétransportation, ils cherchent d’abord des réponses dans trois légendes : celle d’un guerrier San d’Afrique du Sud, celle du Déluge et de Noé, enfin celle du Serpent à Plumes. Finalement ils réalisent que la solution réside peut-être dans l’union, la solidarité et l’amour des autres.
Le conte qui navigue entre réalisme et poésie a inspiré à Thierry Pécou une musique très visuelle. Dans la fosse, les neuf musiciens de l’ensemble Variances accompagnent au plus près le récit. La partition se nourrit de réminiscences musicales amérindiennes, afro-américaines, balinaises et indiennes. Le compositeur utilise au mieux les couleurs et les possibilités techniques des instruments, en particulier la flûte, le saxophone et la guitare électrique. Trois artistes circassiens (Seydouba Camara, Diane Renée Rodriguez et Danny Tavori) enchantent – au sens premier du verbe – le plateau, et le décor constitué de grandes toiles souvent en mouvement accompagne l’énergie du spectacle. Chaque chœur, très sollicité techniquement et fort bien préparé, chante dans sa langue et les jeunes maîtrisiens français se distinguent par une qualité vocale et une projection impressionnantes. A la fin de l’opéra, à la manière de Benjamin Britten dans L’Arche de Noé ou Saint-Nicolas, le compositeur convie le public à chanter plusieurs fois une courte phrase musicale pleine d’espoir. Ce qu’il fait avec ferveur, avant d’ovationner le spectacle.
Après Du chœur à l’ouvrage de Benjamin Dupé en 2017 et J’entends des voix de Damien Lehman en 2020, O Future est la troisième commande passée par Patrick Foll, le directeur du théâtre de Caen, pour la Maîtrise de Caen. Son chef, Olivier Opdebeeck, a posé la baguette après cette production (pour laquelle il était assisté de Fabrice Pénin). Mais il difficile de croire que sa retraite ne sera pas musicale. En vingt ans d’un travail patient, exigeant et sans cesse renouvelé, Olivier Opdebeeck a hissé la Maîtrise de Caen à un niveau digne des grandes maîtrises anglaises.
Thierry Geffrotin