juillet 2016
Transgresser les limites de son milieu culturel quotidien, c’est le chemin que poursuit Thierry Pécou dans ce nouvel album monographique où son oreille voyageuse nous conduit de Cuba à... Dutilleux.
Transgresser les limites de son milieu culturel quotidien, c’est le chemin que poursuit Thierry Pécou dans ce nouvel album monographique où son oreille voyageuse nous conduit de Cuba à... Dutilleux.
Rien ne laissait deviner cette force attractive entre les univers de Pécou et Dutilleux. L’annonce de la disparition du compositeur en 2013 le fait brusquement changer de cap, raconte-t-il. Il s’immerge alors dans la musique orchestrale du maître pour écrire Les liaisons magnétiques pour ensemble instrumental, un « à la manière de » où l’on reconnaît certains gestes du compositeur de Métaboles. Mais sans contraindre l’invention libre de Pécou, dans le choix des couleurs (la flûte reste andine) et le déploiement d’une écriture microtonale louvoyant entre sensualité harmonique et rythmique viscérale. Sextuor (2011) comme Soleil-Feu (2013) découvrent des horizons plus lointains vers lesquels Pécou aime se dépayser. Dans Sextuor, il veut « fixer l’impression forte » que lui a laissée l’écoute du gamelan d’Indonésie à l’exposition universelle de 2010 à Shanghai. Le piano et le quintette à vent nous éloignent pourtant radicalement du modèle, la musique semblant jaillir au fil de l’idée, dans un flux aussi festif que coloré.
Pécou procède au même « déphasage » instrumental pour la musique cubaine de Salsa d’Elissa (saxophone et piano) et les résonances antillaises de Dominica Reggae (Piano et percussion). Une autre « liaison magnétique », avec Karol Szymanowski cette fois, opère dans l’ardent Soleil-Feu pour violon et piano où, comme dans les Mythes du compositeur polonais, les deux instruments font valoir tout à la fois courbes expressives et dimension percussive. Œuvre emblématique, la plus aboutie de cet album, Machines désirantes est un concerto pour piano (le compositeur au clavier) et cinq instruments. S’y exerce la verve inimitable du compositeur, fulgurances rythmiques et timbrales, émaillée d’humour (flûte « désirante » et autres manifestations bruitistes) conférant à la pièce une dimension théâtrale bienvenue. Magistralement assumée, la forme renvoie directement aux machines désirantes deleuziennes dans lesquelles « tout fonctionne en même temps mais dans les hiatus et les ruptures, les pannes et les ratés […] dans une somme qui ne réunit jamais ses parties en un tout » (in L’Anti-Oedipe). On ne saurait mieux dire d’une musique aussi foisonnante que déroutante – excellemment servie par les deux ensembles Variances et Resonanz – qui échappe à toute classification.