Le Devoir

0ctober 24, 2023

Son ascendance antillaise lui a donné une curiosité pour les sons d’ailleurs, qu’il a su mêler à ses créations en un terreau fertile...

Thierry Pécou et les dialogues de la musique

Le compositeur français Thierry Pécou est au Québec cette semaine avec son ensemble Variances. Associé à Paramirabo, il dirigera mardi la création d’une de ses oeuvres à la salle Bourgie, un concert repris à Chicoutimi jeudi.

Depuis près de 30 ans, Thierry Pécou est l’une des voix les plus intéressantes de la musique contemporaine. Même s’il est né en banlieue parisienne il y a 58 ans, son ascendance antillaise lui a donné une curiosité pour les sons d’ailleurs, qu’il a su mêler à ses créations en un terreau fertile, montrant l’infinie richesse de cette voie que d’autres se targuent de refuser à explorer, tel Sandeep Bhagwati, compositeur vedette de la Société de musique contemporaine du Québec cette saison.

Thierry Pécou en répétition pour les concerts «Pulse» (Marie-France Coallier, Le Devoir)

 

C’est par des CD remarquablement réalisés et publiés par Harmonia Mundi que nous avions découvert la musique de Thierry Pécou. Aborder Tremendum, c’est voyager au Brésil ; observer L’arbre aux fleurs, c’est à la fois se laisser hypnotiser par des sonorités orientalisantes et se plier à une complexité rythmique héritière de la révolution Ligeti dans Musica Ricercata.

Dans la fiche Wikipédia consacrée à Pécou, on trouve une allusion à l’alliance de gagaku japonais et de grégorien. Nous comptions sur le compositeur pour nous rafraîchir la mémoire. « C’est une pièce du tout début, j’étais encore étudiant. Elle est difficile à trouver », nous dit Thierry Pécou, qui cherche lui-même quelques instants avant de se souvenir du titre : L’étoile d’Orient !

Gamelan

La confluence entre tradition et création, M. Pécou l’assume plus que jamais : « C’est toujours mon univers, très imprégné des échanges avec d’autres cultures. Je sais qu’au Canada et en Amérique du Nord est posée la question de l’appropriation culturelle. C’est un sujet sur lequel je m’interroge, même si, dans mon travail, j’ai toujours considéré que je n’étais pas dans une démarche d’appropriation, mais “d’entrée en dialogue avec”, ce qui change beaucoup la philosophie et la manière de travailler avec les cultures autres. »

Cette façon est approfondie : « Ces dernières années, mes créations étaient souvent imprégnées d’un travail réalisé avec les Navajos, notamment une poétesse, Laura Tohe. Cela a donné un opéra, Nahasdzáán, joué en 2019 à Rouen et à Caen. Plus récemment, j’ai travaillé sur le gamelan balinais en étudiant notamment des travaux d’ethnomusicologues, qui m’ont permis d’entrer dans cette matière du point de vue théorique. Mes deux dernières pièces importantes, Cara Bali Concerto, écrite pour Alexandre Tharaud, et la pièce de mardi, Byar, sont directement inspirées par le gamelan. » La musique indienne a suscité, pour Variances, une pièce intitulée Sangata pour trois instruments occidentaux et trois instruments indiens.

À Montréal, mardi, et à Chicoutimi, jeudi, Variances de Thierry Pécou rencontre Paramirabo de Jeffrey Stonehouse, deux ensembles de 7 musiciens  « de type Pierrot lunaire », comme les caractérise le compositeur. « Nous pensions jouer le Double Sextet, de Steve Reich », dit Pécou, mais Paramirabo l’avait abordé récemment. « On a donc trouvé Pulse, de Reich, pièce plus récente à pupitres doubles. » Les ensembles y fusionnent, contrairement à Double Sextet, où ils s’opposent. Byar, de Pécou, reprendra la même formation, avec une percussion en plus.

Thierry Pécou a composé en 2006 L’oiseau innumérable, admirable concerto pour piano de 20 minutes. Comment faire passer une telle partition au répertoire ? « Il se trouve qu’en ce moment, L’oiseau innumérable est à Berlin dans un spectacle chorégraphique, joué en direct par l’orchestre en fosse pour une dizaine de représentations », nous dit le compositeur. « Mais, globalement, la constatation est juste. Ce qui manque pour la reconnaissance et l’entrée au répertoire, ce sont de grands interprètes qui s’en emparent. » Il faudrait donc qu’après Alexandre Tharaud, « un ou deux interprètes en plus » reprennent cet Oiseau en vol.

Cette inertie des oeuvres après leur création ne décourage pas Thierry Pécou de composer pour orchestre. « Cela ne me fait pas renoncer à écrire pour le symphonique. C’est vrai que c’est difficile, alors que les orchestres deviennent un peu frileux, même en Europe, à s’engager dans la création. Mais je continue à les rencontrer, à susciter des créations ; il faut se battre. »

Pulse
Ensemble Variances et Paramirabo. Missy Mazzoli : Still Life with Avalanche. Steve Reich : Pulse. Marc Patch : Les mémoires du miroir de quartz. Cassandra Miller : Perfect Offering (création nord-américaine). Thierry Pécou : Byar (création mondiale). En co-diffusion avec Le Vivier. À la salle Bourgie, le 24 octobre, à 19 h 30, et au Centre expérimental de musique, à Chicoutimi, jeudi, à 20 h.

Christophe Huss

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